De l’impossibilité de former un gouvernement fédéral belge à l’impossible Belgique?

Le responsable politique, bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert, en appelle à une prise de conscience et un sursaut des partis francophones dans des négociations fédérales qui, selon lui, ont montré jusqu’ici, que, hormis la N-VA, nul ne sait de quel pays il veut.


Depuis les élections du 26 mai 2019, les partis politiques cherchent désespérément la formule d’une majorité gouvernementale au parlement fédéral.

Passons sur les revirements et propos changeants de la plupart des présidents de parti, du côté francophone certainement, quant à leurs préférences d’alliance, ou leur refus d’être associés à tel ou tel parti. Il y aurait beaucoup à en dire quant à leur manque de constance, qui doit donner le tournis à plus d’un électeur en droit d’exiger le respect des engagements pris au moment de la campagne électorale. De quoi faire réfléchir les citoyens s’ils étaient appelés à retourner aux urnes pour tenter de sortir de l’impasse. Mais il faudra alors avoir le courage de poser les vraies questions sur l’avenir du pays. Car il ne suffit pas de proclamer « l’intérêt de mon pays, plutôt que ceux de mon parti » pour être crédible et justifier un énième revirement.

En réalité, à l’exception, évidemment, du président de la NVA, aucun président invité aux préliminaires d’une négociation ne sait de quel pays il veut et sur quelles bases il faut soit le maintenir en l’état, soit envisager le « grand saut institutionnel » que certains dirigeants politiques préparent inconsciemment, car ils se gardent d’évaluer les conséquences de leur inaction. La mission Magnette/De Wever aura eu pour seul mérite, très relatif vu l’impréparation francophone, de révéler ce que les dirigeants francophones auraient dû pressentir depuis l’échec du gouvernement de Charles Michel, dû à la volonté cynique de la N-VA alors qu’elle le dominait d’une superbe que même le CD&V n’avait jamais connue au temps où on parlait de l’état CVP.

Dure réalité

La N-VA a gravé, dans la conscience politique flamande, la conviction que le gouvernement belge n’est plus qu’un gouvernement auxiliaire de celui de la Flandre et qu’il ne peut en aucun cas faire obstacle à la volonté de la Flandre majoritaire. C’est à cette dure réalité que Paul Magnette a été confronté. Faute d’avoir la maîtrise de la situation, il s’est résigné à assumer le duo royal avec Bart De Wever, croyant en limiter les inconvénients alors qu’il n’avait pas d’ambition francophone à affirmer en réponse au projet d’évanescence de l’Etat belge imposé par Bart De Wever.

Il est d’ailleurs paradoxal d’entendre le président du PS dire, dans le même temps, qu’il n’y avait quasiment d’accord sur rien avec la N-VA mais qu’il aurait néanmoins obtenu de grandes avancées sociales, sans davantage les détailler. A lire la seule source plus ou moins certaine, à savoir le site de la N-VA qui en dit plus que celui du PS quant au contenu de la note ayant servi de base de discussion, on est en droit de douter du prétendu équilibre entre avancées sociales et avancées institutionnelles. A supposer que ce soit vrai, cet échange serait un jeu de dupes puisque des mesures sociales, toujours révisables au gré des majorités successives, auraient eu comme contrepartie des évolutions institutionnelles durables et irréversibles. Ce qui est certain, c’est que le projet institutionnel exigé par la N-VA est substantiel et lourd de conséquences pour les francophones.

Il est évident que la Flandre nationaliste, celle qui serait satisfaite que la N-VA et le Vlaams Belang, forts d’une possible majorité assumée sans réserve par la première, la conduisent vers son « indépendance », entend imposer une nouvelle marche forcée vers une réforme de l’Etat à ses conditions. De son point de vue, elle aurait tort de ne pas tenter le coup comme condition d’un accord gouvernemental puisque les partis francophones n’ont aucune vision commune de ce qu’ils veulent pour l’Espace Wallonie-Bruxelles. En somme, l’histoire se répète, l’impréparation des partis francophones permet tous les coups de force des nationalistes du Nord et de leurs alliés, nombreux à coup sûr au CD&V et, dans une moindre mesure, dans d’autres partis flamands. La seule réponse serait-elle de gagner du temps, mais pour quel choix et donc pour quel pays en définitive : fédéralisme rénové, confédéralisme plus ou moins avoué ou séparatisme ?

« Complainte belgicaine »

Oui, nous devons avoir l’honnêteté de reconnaître que les francophones sont au mieux conscients de la nécessité de préparer le rendez-vous institutionnel mais indigents quant à la façon de l’assumer, au pire dans le déni d’une réalité qui, pour certains, semble les dépasser au point qu’il ne leur reste plus qu’à pousser une sorte de complainte belgicaine qui résonne comme un aveu d’impuissance.

Que cela nous plaise ou non, la classe politique flamande, dans sa majorité, portée par l’assurance que la prospérité de la Flandre dépend davantage des leviers dont elle dispose que d’une Belgique devenue peu efficace à ses yeux – même si elle a sa part de responsabilité dans sa déglingue pour en avoir dominé l’appareil d’Etat –, n’entend pas suspendre et encore moins renoncer à sa marche en avant vers une souveraineté de plus en plus inéluctable. Cette souveraineté peut être assumée dans la Belgique pour autant qu’elle n’y fasse pas obstacle, hors d’elle si nécessaire. La Flandre s’affirme comme un Etat et s’en donne, à chaque réforme institutionnelle, les attributs et pouvoirs, ayant dépassé depuis longtemps le débat stérile entre région et communauté qui ne passionne que des francophones effarés. Cette évidence nous oblige, Wallons et Bruxellois, à prendre notre destin en main. La nécessité devrait nous en donner le courage, faute d’avoir eu, par lucidité en temps opportun, l’audace d’en faire une force.

Le moment n’est pas de se lancer, entre francophones, dans de vaines querelles entre les partisans du tout à la Région ou ceux de la Fédération réaffirmée. Car l’enjeu est avant tout économique et social, et donc financier. Quels sont les moyens et les capacités dont disposent les Wallons et Bruxellois pour assumer le redéploiement de leur espace commun, quelle qu’en soit la configuration institutionnelle ? Ne commettons pas l’erreur de nous épuiser dans des débats sur les structures, qui se confondent souvent avec la préoccupation du partage des influences partisanes.

Une gouvernance souple

Comme nous devrons gérer au mieux nos maigres moyens budgétaires pour assumer nos besoins essentiels, ceux qui contribueront à notre prospérité future, nous devons avoir pour seule ligne directrice, celle de l’efficacité des moyens alloués au regard des résultats à obtenir. Si ensemble, Wallons et Bruxellois, nous sommes plus forts par l’addition de nos capacités budgétaires et autres, donnons-nous les leviers politiques d’atteindre l’objectif. Si, séparément, nous pouvons assumer certains choix au plus près de la réalité locale ou régionale, laissons la décision au niveau de pouvoir le plus approprié.

L’important est d’avoir une gouvernance souple, exemplaire, simplifiée, en commençant par la diminution du nombre de mandataires, tous niveaux de pouvoir francophones confondus. Nous avons un devoir d’exigence par nous-mêmes et pour nous-mêmes, non pour plaire aux forces qui ont toujours dénigré Bruxelles et la Wallonie, mais pour donner le meilleur de nous-mêmes. A cet égard, la qualité de notre enseignement et de notre formation est une priorité absolue. Nous avons à construire le fédéralisme de l’efficacité francophone, seule voie pour ne pas tomber dans une forme de vassalisation que la Flandre ne nous demande pas mais qu’elle ne dédaignerait pas si nous y consentions. Mais nous en serions seuls responsables. Et l’intelligence que nous mettrons à construire une solidarité réussie entre la Wallonie et Bruxelles servira peut-être de référence dans nos relations avec la Flandre pour vérifier si une Belgique a encore une signification commune suffisante.

Mais, si la Flandre, malgré sa haute stature intellectuelle et culturelle, se laissait définitivement emporter par le nationalisme de l’égoïsme, la Wallonie et Bruxelles ne seraient à tout le moins pas prises au dépourvu. Et nous n’aurions pas à subir le fardeau d’une histoire qui ne serait pas la nôtre.