Dimanche dernier, l’Assemblée nationale française et le Sénat se sont entendus sur des mesures de restriction de liberté incluant la vaccination obligatoire des soignants (même s’ils ne courent plus le risque d’être licenciés) et le fameux “pass sanitaire”.
Sur la forme, on observera qu’il est donc possible qu’un Parlement, dans des temps courts mais en donnant pleine place au débat, puisse travailler à des mesures contre la pandémie en débattant sur l’équilibre à trouver entre santé publique et préservation des libertés. Et que l’intervention des députés et sénateurs, en l’occurence, a permis d’amender et d’améliorer le texte. Que l’on soit favorable ou non au “pass sanitaire”, ceci est une leçon pour tous les défenseurs de la “loi pandémie” votée dernièrement par la majorité Vivaldi le doigt sur la couture du pantalon, et qui prive précisément la Chambre, en Belgique, de son pouvoir d’arbitrage et de légalité s’agissant des mesures liberticides – puisque selon le texte, une fois voté l’état d’urgence le gouvernement n’a pas à faire avaliser ses mesures restrictives par la Chambre.
Sur le fond, il y a un débat essentiel que la Belgique, au cœur de l’été, est en train de manquer: la progression de la vaccination va-t-elle être suffisante pour juguler les dégâts du variant Delta ? Et sinon, que propose le gouvernement ?
Il est craindre que la réponse à la première question soit “non”, et la deuxième “pas grand-chose”. Le dernier codeco n’a pas sorti de mesures spectaculaires. La Belgique, autosatisfaite de sa bonne campagne de vaccination (c’est un fait), se repose sur ses lauriers et sous-estime le danger à venir. Comme avant chacune des vagues passées.
Nous connaissons tous les données du problème: d’un côté, un pays comptant un peu plus de 50% de sa population complètement vaccinée, ayant largement vacciné ses populations les plus fragiles; de l’autre, un variant beaucoup plus contagieux et virulent, qui une fois de plus change la donne et contraint à atteindre une couverture vaccinale plus élevée.
La vaccination plafonne et cela devient un vrai problème. Très logiquement, des voix s’élèvent pour rendre cette vaccination obligatoire pour certaines catégories de personnes, tel le personnel soignant, comme en France. Si la couverture vaccinale ne s’améliore pas, nous ne pourrons plus échapper à ce débat qui se pose à tout le moins, clairement, pour les soignants qui travaillent directement avec des populations à risque, en maison de repos et de soin.
Mais l’obligation vaccinale ne devrait pas avoir à reposer sur un devoir de contrainte par rapport à l’Etat. Elle devrait s’imposer par elle-même comme un devoir de citoyenneté et de solidarité de chacun de nous vis-à-vis de la société. Voici pourquoi :
- D’abord, à cause du variant Delta, si quatrième vague il y a, elle sera portée essentiellement par les non-vaccinés. Les chiffres sont éloquents: en Belgique ou à l’étranger, l’effectif des personnes soignées dans les hôpitaux est composé en quasi totalité de personnes non-vaccinées. Le vaccin protège des formes graves; ne pas se vacciner c’est s’exposer soi-même, mais aussi des personnes plus faibles, immuno-déprimées, à ce risque qui est devenu plus élevé. Rappelons que tout le monde ne peut pas être protégé par le vaccin; certaines personnes fragiles n’ont pas pu être vaccinées pour raisons de santé, et sont donc très exposées au virus. Et c’est alourdir la charge d’un personnel soignant déjà épuisé.
- Le vaccin, même s’il est très efficace, ne protège pas à 100%. Statistiquement, laisser le virus circuler revient à accepter que des personnes vaccinées passeront entre les mailles du filet et pourront, elles aussi, se retrouver à l’hôpital.
- Le covid, ce n’est pas seulement les soins intensifs; c’est aussi pour beaucoup de personnes une forme “longue”, invalidante, qui peut durer un temps indéfini. En ce compris un grand nombre de personnes jeunes.
- Le plafonnement de la couverture vaccinale, en Europe, est un problème de riches vu depuis une série de pays du monde qui, dans le Sud surtout, sont frappés de plein fouet par le variant Delta et ne peuvent y faire face faute de doses. Ils ne demanderaient pas mieux que de se faire vacciner et ne pas le faire lorsqu’on en a l’occasion est irrespectueux vis-à-vis d’eux.
- Tant que le virus circulera, tant que la population mondiale ne sera pas vaccinée quasi totalement, de nouveaux variants émergeront, et certains finiront bien par être résistants aux vaccins actuels. Ne pas se vacciner nous éloigne de la fin de la pandémie, tout simplement.
- Enfin et surtout: la vaccination reste la meilleure protection contre les mesures restrictives, qui ont fait tant de mal, à savoir le confinement et la fermeture d’activités.
Je n’estime pas que toute personne ayant des doutes sur la vaccination soit à classer comme “antivax” ou complotiste. Loin de là. La réalité est plus complexe. Certaines questions sont légitimes. Mais il est temps de voir les choses en face: les fake news et craintes irrationnelles propagées par les antivax font des dégâts terribles. Le mensonge se propage sur les réseaux sociaux d’une manière bien plus rapide que la vérité, comme le rappelle Gérald Bronner dans son récent ouvrage “Apocalypse cognitive”. Il est à se demander si la polio ou la variole auraient pu être éradiquées si les réseaux sociaux avaient existé.
L’équilibre entre santé publique et libertés publiques est au cœur de la pandémie depuis le début de la crise. Les rétifs à la vaccination mettent en avant la liberté fondamentale du choix et du consentement. Mais le principe même de la démocratie libérale est qu’aucune liberté n’est absolue; par essence, chacune d’elle se heurte aux effets destructeurs que sa propre liberté engendre vis-à-vis des autres. En l’occurence, on ne se vaccine pas seulement pour soi, mais aussi, et maintenant surtout, pour les autres. C’est au nom de la préservation de la vie d’autrui, donc de leur liberté, que le vaccin contre la polio est obligatoire pour tous et que certains vaccins sont déjà obligatoires pour les soignants, comme l’hépatite B.
Quelle serait une liberté qui autorise à pouvoir rendre malade autrui ? A quel niveau d’irrationalité sommes-nous parvenus pour que nous hurlions à la dictature contre des mesures visant à sauver des vies ? A quel moment avons-nous oublié que toute politique de santé publique, comme toute politique de sécurité routière, comporte un minimum d’obligations qui n’ont pour seul autre but que de protéger ?
Il suffit d’imaginer une minute où nous en serions aujourd’hui, face à ces variants, au vu des confinements passés, si nous n’avions pas de vaccin pour se rendre compte de la chance qui est la nôtre d’avoir pu les développer si rapidement. Refuser d’utiliser cette arme est non seulement une défaite de la rationalité, mais aussi de la solidarité.
François De Smet
Président de DéFI