Par François De Smet, président de DéFI

Il est temps de mettre les choses au point. Parce que je lis et entends des choses insupportables. Depuis hier, mais plus largement depuis trois semaines.

Il y a trois semaines, à en croire les réseaux sociaux, j’étais un épouvantable islamophobe raciste parce que je défendais le droit de la STIB à aller en appel, que je refusais l’assimilation de la neutralité à de la discrimination et que je portais haut et fort les idéaux laïcs de DéFI.

Depuis hier, je serais en revanche un lâche qui aurait abandonné la laïcité sous prétexte que j’aurais “abandonné” cet appel.

Les deux postures sont fausses et insultantes. Elles témoignent de l’hystérisation du débat politique dès qu’on touche aux signes convictionnels, alors que ces sujets demandent réflexion et pondération. Depuis hier, ce qui me tombe dessus est tout sauf de la réflexion.

Je l’affirme sans ambages: depuis trois semaines, je dois être dans ce pays la personne qui a le plus travaillé en faveur de l’appel. Je n’ai pas changé d’avis: le fait d’avoir privé le management de la STIB de pouvoir faire appel est un scandale. J’ai tenu des paquets de réunions, passé des dizaines de coups de fil, lu des dizaines d’arrêts, de cartes blanches. J’ai passé des heures puis des jours de négociation pour convaincre mes partenaires politiques. Sans succès. Malgré les prises de position de hautes personnalités de leurs propres partis.

Et je me suis trouvé face un constat politique simple: il n’existe pas de consensus possible sur cette question au sein du gouvernement bruxellois. J’ai tout essayé. J’ai eu face à moi un mur. C’est un fait politique en soi, et je n’y peux rien.

Deux options s’offraient alors: soit accepter un compromis offrant des garanties solides sur la neutralité exclusive, soit quitter le gouvernement.

Pourquoi ne pas quitter le gouvernement, me demande-t-on ? Nous avons sérieusement étudié cette possibilité. Bien sûr – même si techniquement plus difficile qu’il n’y paraît – nous nous serions fait du bien, nous serions passés pour des héros une semaine, nous aurions clamé haut et fort notre indignation…

Et puis ? Et puis rien.

Si DéFI sort du gouvernement, il n’y aura quand même pas d’appel. Parce qu’il suffit au gouvernement, quelle que soit sa composition, d’attendre tranquillement l’échéance (en l’occurrence le 21 juin) et de ne rien faire. C’est un élément technique important pour comprendre la dynamique de négociation à laquelle nous sommes soumis : non seulement nous sommes à un contre deux, mais le temps joue contre nous, car les opposants à l’appel peuvent se permettre d’attendre, et que le consensus est nécessaire. Il n’est donc pas suffisant de “bloquer’” pour aboutir. Il faut un consensus. Comme le MR au fédéral pour la commissaire voilée à l’égalité entre hommes et femmes (qui est resté, évidemment), nous ne sommes pas parvenus à le trouver. Et tout départ ne peut donc être qu’un départ de protestation et de mauvaise humeur, pas un moyen de pression.

Si DéFI sort du gouvernement, nous devons expliquer à 1,1 million de Bruxellois que jeter la Région bruxelloise en chaos institutionnel, renoncer à la compétence de l’Emploi où il y a tant à faire au service des habitants, dans la pire crise économique depuis des dizaines d’années.

Si DéFI sort du gouvernement, nous gagnons quelques moments de panache et d’honneur, mais au détriment de toute utilité ou efficacité pour les combats essentiels. Non seulement il n’y aura pas non plus d’appel, mais nous perdons nos leviers dans les entreprises publiques et en premier lieu… la STIB. Abandonnant sa direction et ses travailleurs à l’immixtion religieuse et la remise en cause de la neutralité.

Nous perdons toute possibilité, surtout, de protéger la neutralité exclusive des services publics, comme nous le faisons pour le moment.

Et ce pour quoi ? Pour protester contre le refus d’octroyer un appel certes dans un dossier essentiel, mais qui n’offrait aucune garantie de réussite.

Est-ce vraiment ce que nous voulons ?

Ceux qui nous disent qu’il fallait partir dans de telles conditions devront m’expliquer comment défendre nos valeurs depuis l’extérieur, trois ans avant les élections, plutôt qu’en assumant nos responsabilités à l’intérieur, avec des outils permettant de le faire.

Car le problème de fond – et là je sais qu’on se rejoindra davantage – reste l’immixtion du religieux dans la sphère publique, et singulièrement les services publics. C’est un enjeu fondamental, sous-estimé à Bruxelles. C’est une bataille qui ne fait que commencer. Et c’est dans cette perspective-là que je vous demande de regarder l’accord conclu: celui-ci vise à nous doter des moyens de mener cette bataille démocratique dans les trois années à venir.

Nous avons choisi de prendre des avantages de position pour la bataille à venir que de nous lancer dans l’aventure de faire tomber un gouvernement sur ce sujet.
  • A la STIB, nous réaffirmons et consacrons le principe d’interdiction des signes et la neutralité exclusive comme règle générale.
     
  • Nous “blindons” cette interdiction de signes pour les fonctions d’autorité et les fonctions en contact relationnel (soyons honnêtes, il va y avoir une bataille autour de cette dernière notion lors de la révision du Règlement de Travail, nos partenaires vont essayer de l’étendre, nous non). Oui, il y aura des dérogations possibles – c’est le minimum pour respecter l’ordonnance -, mais de toute façon c’est à la direction de faire des propositions de définition et de liste pour ces fonctions dérogatoires.
     
  • Nous disposons d’un verrou: le réglement de travail ne pourra être modifié qu’à l’unanimité du comité de gestion, DéFI inclus. Ni la direction, ni nous ne seront minorisés. En clair: rien ne changera à la STIB sans que nous marquions notre accord. Idem sur les futures affaires en justice, ce qui rendra impossible à l’avenir ce qui s’est produit dans la présente affaire.
     
  • Il y aura un cadre légal de lutte contre le prosélytisme dans les services publics et entreprises publiques; il s’agit ici pour nous d’affirmer que, au-delà du principe de neutralité, le lieu de travail ne peut être un endroit où s’exercent des pressions de nature prosélyte, et ne peut être un cadre où l’on peut imaginer des salles de prière ou des espaces collectifs séparés entre hommes et femmes.
     
  • Il y aura un débat parlementaire citoyen et participatif – on lance la balle aux chefs de groupes – sur la neutralité. L’idée est que ça démarre vite. Si nous arrivons à s’accorder sur un texte tant mieux, si on n’y arrive pas tant pis, nous ne serons pas mis en minorité. Et nous pourrons librement développer notre vision. Jamais une vision de la neutralité qui ne nous convienne pas ne nous sera imposée sous cette législature.
     
  • Enfin les initiatives communales pour changer le règlement de travail devront s’inscrire dans le travail parlementaire.

Il faut donc bien comprendre la situation : cet accord est une boîte à outils dont nous aurons besoin, à partir de maintenant, pour mener la bataille démocratique en faveur de la laïcité et de la neutralité exclusive à Bruxelles. Ce sera une bataille longue et difficile. Au-delà des différends éventuels de stratégie, je sais que nous partageons ici le même objectif: limiter l’immixtion du religieux au sein de services publics, réaffirmer et protéger la neutralité de l’Etat.

En concluant cet accord, certes difficile, nous avons pensé en premier lieu au management et aux travailleurs de la STIB, qui ont besoin d’être soutenus. Cet accord nous permettra de le faire. Comme il nous permet d’être actifs sur le sujet dans les autres secteurs.

A l’heure où les autres partis se déchirent de plus en plus sur le sujet, il est essentiel que nous restions unis et solidaires. En temps de calme comme en temps de tempête.

Sur BH radio, ce matin dans il faut qu’on parle, Maxime Binet recevait François De Smet :